2010年12月07日

LA SINDROME DI STENDHAL (film italien de Dario Argento - 115 minutes - 1996)

Pour les besoins d'une enquête à Florence, la jeune inspectrice Anna Manni se rend dans un musée. Entourée d’œuvres magnifiques, elle s'évanouit, victime du syndrome de Stendhal (réaction violente provoquée par l’art et ressentie par certaines personnes très sensibles). Amnésique à son réveil, elle s’aperçoit que son arme a disparu. Un jeune homme, Alfredo, lui propose son aide mais elle refuse…
L’idée du film provient d’un ouvrage de Graziella Magherini lu par Dario Argento. Il raconte que l’écrivain français Stendhal a remarqué qu’il existait des individus subissant un choc phénoménal en présence de réalisations artistiques. Ils perdaient en général connaissance et souffraient de maux divers et variés.
Argento est un cinéaste qui a été longtemps incompris dans le milieu de la critique cinématographique ≪ sérieuse ≫. Le Syndrome de Stendhal a permis au cinéaste d’être enfin reconnu à partir de la deuxième moitié des années 90, alors qu’il avait déjà près de trente ans de carrière.
C’est sans nul doute lié au fait qu’il s’est toujours évertué à intégrer dans ses films des éléments inspirés par des formes nobles (l’opéra, de la peinture, de la littérature), ainsi que des motifs venant de formes triviales (le giallo, le gore, le hard-rock, etc.).
C’est un véritable coloriste dont la couleur favorite est celle du sang qui coule dans toute sa filmographie : le rouge. Il a innové en confrontant cinéma de genre et d’auteur au sein d’une même œuvre, parfois d’un même plan. Il a également donné une profondeur à l’image, bien avant la trois dimensions, en éliminant quasiment le hors champ et en se concentrant sur ce qui est dans le cadre. L’image est toujours en devenir chez Dario Argento, elle ne cesse de passer d’un état à un autre, elle tremble d’une certaine façon.
Le Syndrome de Stendhal marque le retour du metteur en scène au giallo (ce mot signifie jaune en italien, il symbolise la couleur de la couverture de livres policiers populaires dans les années 50 en Italie).
Un giallo se caractérise par un tueur qui assassine sauvagement ses victimes à l’arme blanche. L’érotisme constitue un autre élément typique. Au cinéma, c’est Mario Bava qui a véritablement ouvert la voie au genre en filmant des meurtres sanglants à la mise en scène très stylée.
Argento reprend ces codes du giallo en les mêlant à ses obsessions personnelles. Il a su trouver son style tout en se référant au giallo.
Comme l’a si bien écrit Jean-Baptiste Thoret, le meilleur spécialiste du cinéaste en France, Dario Argento est un ≪ magicien de la peur ≫.

Pierre Silvestri
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2010年11月18日

ROIS ET REINE (film français d’Arnaud Desplechin - 150 minutes - 2004)

Rois et reine suit la trajectoire de deux personnages que tout oppose et dont on apprend progressivement les rapports étroits et conflictuels qu'ils ont entretenus.
Le premier s’appelle Nora. Il a un destin mélodramatique avec ses mariages ratés et l'agonie de son père. Nora a connu le pire et choisit de l'affronter avec légèreté.
Le second est burlesque : Ismaël est musicien, il est enfermé, contre sa volonté, dans un établissement psychiatrique. Il y dansera le hip-hop et sortira indemne des poursuites menées contre lui par les impôts grâce à un avocat aussi déjanté que lui.
Nora et Ismaël se retrouvent, puis s'éloignent l'un de l'autre doucement et définitivement.
Ces deux trajectoires qui se sont heurtées, se heurtent puis reprennent leur distance à nouveau sont comme deux cordes qui génèrent une mélodie au contrepoint aussi simple que les harmoniques sont complexes, riches et puissantes.
Ici, le regard du metteur en scène perçoit et dévoile la part de l'humain dans le moindre geste, ce qui rattache chacun de ses personnages à une humanité bien plus grande que le film lui-même. D'où sans doute les nombreuses références aux mythes classiques (via les affiches sur les murs, ou encore le dessin que Nora offre à son père).
Hommes et femmes y sont bien des rois et des reines, pris dans cette tragi-comédie implacable, la vie. Même Nora, personnage fermé et froid, se complexifie au contact des hommes qui ont fait sa vie.
Rois et reine est un film de ≪ famille ≫ : père trop aimant dans l’enfance de Nora, père généreux et juste d’Ismaël, volonté d’un père et refus d’un autre d’adopter un fils, incapacité de Nora à être mère, et cætera.
Dans l’une des dernières scènes du film, un homme et un enfant visitent le Musée de l’homme à Paris. Le cinéaste filme au plus près d’eux, l’exposition et l’espace du musée restant hors du champ. L’adulte explique à l’enfant, sans renoncer à ses mots d’adulte, pourquoi il ne peut l’adopter. Il dit les doutes, la culpabilité, le poids et les choix inhérents à la filiation.

Pierre Silvestri
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2010年10月05日

PLAYTIME (film français de Jacques Tati - 126 minutes - 1967)

Charles Chaplin reconnaissait l’influence de Max Linder sur sa propre création, mais c’est avec Jacques Tati que le burlesque français a trouvé son plus beau représentant. Connu dans le monde entier pour son légendaire personnage de Monsieur Hulot, Tati est aussi un des rares cinéastes hexagonaux à avoir reçu un Oscar en 1959 (pour Mon oncle, 1958).
En 1967, Tati investit tout son génie dans un projet colossal et visionnaire, totalement rejeté et incompris à sa sortie, et qui lui fera perdre simultanément tout son crédit artistique et son poids financier. Playtime (1967), donc, maintenant unanimement célébré, est une pièce essentielle de la filmographie de ce maître de la comédie, une œuvre singulière et personnelle.
Près de dix ans après Mon Oncle, revoici Monsieur Hulot, perdu dans les dédales d’un Paris extrêmement moderne. De multiples rencontres plus ou moins avortées émaillent le parcours labyrinthique de Hulot dans cette capitale fantomatique et kafkaïenne : cadres ternes et super actifs, anciens camarades de régiment, VRP sur les nerfs et autres touristes américaines s’extasiant sur d’immenses buildings impersonnels. Tout ce beau monde se retrouve finalement le soir pour l’inauguration en grande pompe du Royal Garden, restaurant chic dont le standing n’est que de façade. S’ensuit alors un déluge de catastrophes… et de gags.
Ce personnage absolument central de tous les opus de Tati est ici réduit à une fonction de fil conducteur. Tout au long du film, Monsieur Hulot hante de sa présence l’univers aseptisé du modernisme selon Tati mais sans qu’aucune trame narrative ne se dégage vraiment. Hulot ≪ visite ≫ un Paris uniforme et subit une série de gags. Playtime est une comédie dans laquelle s’impose un regard particulièrement critique sur la société de consommation de masse qui se profile alors à l’horizon, dès 1967.
La démarche de Tati pour parvenir à ses fins est habile. Il présente une ville totalement monotone, où tous les bâtiments sont identiques, où les appartements sont absolument semblables, où les hôtels ne diffèrent pas du hall d’un aéroport… Dans une agence de voyage, les touristes s’enthousiasment devant les affiches publicitaires de plusieurs destinations : New York, Londres… Chaque affiche montre un immeuble identique.
Le monde que nous décrit Jacques Tati est donc totalement standardisé. Ce qui rend identifiable Paris ici, c’est le reflet de certains de ses monuments dans les vitres et les portes. Ainsi, ce Paris d’un autre temps est seulement suggéré. Il n’a pas fait face à l’expansion du libéralisme et s’est laissé envahir.

Pierre Silvestri
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2010年08月24日

COMME UNE IMAGE (film français de Agnès Jaoui - 110 minutes - 2004)

Etienne Cassard (Jean-Pierre Bacri) est un écrivain à succès. L'un de ses ouvrages vient d'être porté (médiocrement), à l'écran. Il est l'époux de la belle et blonde Karine (Virginie Desarnauts) et père d'une fille d'un premier mariage, Lolita (Marilou Berry). Mais Lolita est grosse, mal dans sa peau, en demande perpétuelle de reconnaissance, et tout cela pèse à Etienne qui se préoccupe davantage de son ego que de son enfant. Pour donner un sens à sa vie, la jeune fille prend des cours de chant auprès de Sylvia Millet (Agnès Jaoui), dans le but de préparer un concert avec quelques collègues. Lorsque Sylvia apprend que Lolita est la fille de Cassard, qu'elle admire beaucoup, son intérêt pour l'élève décuple. Accompagnée de son mari, Pierre (Laurent Grévill), qui cherche lui aussi à percer dans le domaine littéraire, Sylvia devient intime de la famille Cassard...
L'atmosphère générale, le mordant des dialogues, le jeu des acteurs, signent instantanément la marque de fabrique Jaoui-Bacri. Par de nombreux aspects stylistiques tout autant que par le sujet, nous sommes dans la continuité des grands succès du tandem : Cuisine et dépendances (1993), Un air de famille (1996), Le Goût des autres (2000)... Comme une image, c’est un naturel exceptionnel dans le jeu des acteurs, une intrusion chirurgicale dans un monde de cadavres vivants dont le brillant superficiel ne résiste pas plus de quelques minutes aux coups de boutoir de la vie quotidienne, un va-et-vient de fantoches dérisoires qui tournent en rond dans leur mélasse sans trouver la porte de sortie...
A l'image de ses devanciers, ce film est foncièrement pessimiste. Quasiment tous les personnages sont emprisonnés dans leur infime constellation intérieure et ne communiquent avec celles des autres que par l'agressivité, le repli, la moquerie, ou l'hypocrisie. Et, paradoxalement, le spectateur rit beaucoup (souvent jaune) de cette valse de pantins dans lesquels nous pouvons tous nous reconnaître. Si certains réalisateurs se sont spécialisés dans les monstres qui assassinent à tour de bras, le couple Jaoui-Bacri est devenu le professionnel de la répartie qui tue, le virtuose dans l'art d'exciter les zygomatiques grâce à des individus désespérés.
Une évolution, déjà sensible dans Le Goût des autres, s'affirme ici. Nous avons quitté le petit cercle de famille qui se réunissait chaque semaine au café de banlieue pour plonger dans un univers psychologique plus complexe, à la symbolique plus développée. Les bons mots ne sont plus le seul but du jeu des marionnettes. Une descente subtile dans la souffrance individuelle s'opère et, à ce titre, le personnage meurtri de Lolita, esquissé avec une sobriété juste, est une émouvante réussite. Tous les êtres qui l'entourent, sont, eux aussi, englués dans leurs blocages psychologiques, leurs souffrances non cautérisées. Et si une mince lueur d'espoir pointe à la dernière image du film, elle est due au personnage de Rachid-Sébastien (Keine Bouhiza), sorte d'électron libre dans cette galaxie d'atomes statiques.

Pierre Silvestri
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2010年07月08日

LA NUIT AMERICAINE (film français de François Truffaut - 112 minutes - 1973)

« Je me suis rassemblé et réconcilié avec moi-même grâce à La Nuit américaine, qui concerne simplement ma raison de vivre », écrit François Truffaut à Jean-Louis Bory, le 11 décembre 1974. Cette raison de vivre, c'est le cinéma. Qui a vu La Nuit américaine se souvient des métaphores du cinéaste pour qualifier ce qu'est un tournage : un voyage en diligence qu'on souhaite beau au départ avant d’espérer plus modestement atteindre la destination au fur et à mesure des difficultés rencontrées, un train qui avance à toute vitesse au cœur de la nuit...
François Truffaut y tient le rôle d’un cinéaste en train de tourner un film, c’est-à-dire de celui à qui il est interdit de tergiverser et à qui on pose toute la journée des questions sur une perruque, un revolver, un dialogue, etc. Son engagement physique et sa diction rapide et angoissée donnent au film son intensité et sa part de gravité souterraine.
A sa sortie, en 1973, La Nuit américaine provoqua un violent échange épistolaire entre Jean-Luc Godard et François Truffaut, le premier reprochant au second d'être un « menteur », et sans doute, à travers ce qualificatif, de proposer une vision visant à mythifier et dépolitiser une équipe de cinéma. Godard déplorait également que le metteur en scène soit le seul à ne pas coucher dans l’histoire et que les rapports de pouvoir soient éludés.
Quelle que soit la bonne ou mauvaise foi de Godard, l'ombre de cette lettre plana par la suite sur le film, qui, par ailleurs, fut un grand succès public et reçut l'Oscar du meilleur film étranger.
A une époque où n'importe qui, à travers les bonus de DVD, est persuadé de tout savoir sur la fabrication d'un film, La Nuit américaine ne se regarde plus à l'aune des trucs techniques dévoilés, telle la rampe à pluie artificielle ou la fausse neige soigneusement salie. Si la succession d'anecdotes reste amusante et la distribution (Valentina Cortese, Jean-Pierre Léaud, Dani, Jacqueline Bisset, etc.) éblouissante, c'est l'autoportrait qui touche. L'homme pressé mais attentif, qui rassure les acteurs et qui dédramatise les situations pathétiques par des blagues, c'est le cinéaste dans le film, Ferrand, mais aussi Truffaut. Ce dernier, par ailleurs, a pris soin que le film dans le film intitulé Je vous présente Paméla ne soit pas une grande œuvre, évitant ainsi de se donner trop d'importance.
Toute l'équipe technique est présente à l'image, si bien que la débutante Nathalie Baye s'y perdait. Jean-François Stévenin, à la fois assistant à la réalisation pour de vrai mais aussi en tant qu’acteur, se souvient de son trouble : « J'étais un peu déconcerté par cette image d'Epinal, et même très en colère contre François qui me faisait hurler dans un haut-parleur, ce qui aurait été impensable sur ses tournages. Mais lorsque j'ai revu le film [...], j'ai été sidéré : tout ce qui m'avait semblé dessin animé, caricatural, était passé à l'as. Restait François Truffaut, cinéaste, à l'écran. La vérité du film, qui m'avait échappé. »

Pierre Silvestri
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2010年06月19日

LOST HIGHWAY (film franco-américain de David Lynch - 135 minutes - 1997)

Fred Madison se produit chaque soir dans une boîte de nuit et mène apparemment une vie paisible avec sa femme Renee. Un matin, Renee découvre dans le courrier une cassette vidéo contenant des vues de leur maison, d'abord extérieures puis intérieures. Fred commence alors à cauchemarder jusqu'à ne plus faire de différence entre une réalité paniquée et un irréel onirique. Par ailleurs, son existence est menacée par l'apparition d'un homme à l'identité mystérieuse. Un soir, il rêve qu'il découpe sa femme en morceaux…
Paroxysme du genre lynchien par excellence, le thriller fantastico-schizophrénique, en incessante quête d'une vérité multiple, d'une recherche de compréhension sous forme de tempête cataclysmique sous un crâne malade, Lost Highway a été l’objet de nombreuses interprétations à sa sortie. Comment essayer de discerner les lois du genre lorsque ce genre n'existe justement pas ? Trip sous acide, collage délirant entre l'organique et le minéral, multiplicité labyrinthique, Lost Highway a réinventé à sa façon le cinéma, atomisant toute logique. Le film repose sur le principe d'une temporalité déphasée où la capture de certains événements est donnée à voir avant même qu'ils se soient produits.
Tissant une toile où le spectateur est forcément mis dans une situation de voyeur dérouté devant un engrenage fondé sur l'isolation sensorielle, inexprimable et touchant presque à l'ésotérisme, ainsi que sur l'intrigue voilée et conspiratrice d’un cauchemar grandeur nature. Lost Highway est une œuvre qui garde toujours son mystère même après plusieurs visionnages. En effet, notre réceptivité nous permet de capter chaque fois de nouveaux éléments tout en restant dans le flou. Les scènes mentales jalonnant le film amplifient le côté ultra-expérimental voulu par David Lynch dont la puissance d’imagination jamais rassasiée est vecteur de sensations impressionnantes.
Construisant sa narration comme un morceau musical enclin à tout larsen, cherchant l'atmosphère et la tonalité perturbantes, Lynch se pose en gourou sensoriel concoctant ses lois de l'esthétique aux combinaisons infinies et instinctives. Bric-à-brac underground d'une violence destructrice, la bande originale du film joue sur les ruptures et les variations. Gigantesque mix entre le dub, le jazz, l'easy listening, le rock et le trip hop, ce voyage sonore nous entraîne d’abord dans un univers angoissant par le biais d’un David Bowie dérangé, brutalement radicalisé par Ramstein avant de nous plonger dans une certaine décadence orchestrée par Kraftwerk. Jouant des dédales de la mythologie hollywoodienne, le coït interrompu entre fond et forme célèbre le triomphe de l'émotion plastique des obsessions d'un cinéma métamorphosé, désagrégeant temps et espace.

Pierre Silvestri
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2010年05月08日

SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (film franco-suisse de Jean-Luc Godard - 88 minutes - 1979)

Producteur de télévision, Paul est séparé de sa femme qui a la garde de leur fille, Cécile. Il les rencontre tous les mois. Il vit parfois avec sa maîtresse, Denise, mais leurs rapports sont plutôt tendus, particulièrement en ce moment où Denise quitte son emploi à la télévision pour aller vivre à la campagne. L'appartement qu'occupait Denise, c'est Isabelle qui désire le louer. Isabelle est une prostituée qui accepte généralement tout ce qu'on lui demande car la vie est ainsi plus simple. Un jour, Paul traverse la rue parce qu'il a aperçu sa femme et sa fille ; une voiture le renverse...
Sauve qui peut (la vie) marque le retour de Jean-Luc Godard au cinéma « commercial » (étant entendu que la notion de commerce est tout à fait relative, spécialement quand on parle de Godard...), après une bonne décennie de cinéma militant gauchiste au sein du groupe Dziga Vertov et de travaux en vidéo (pour la plupart underground, malgré quelques productions pour la télévision). Sauve qui peut (la vie) présente une affiche prestigieuse : Jacques Dutronc, Isabelle Huppert et Nathalie Baye en première ligne, ainsi qu’une musique signée Gabriel Yared.
Sauve qui peut (la vie) est un sommet dans la filmographie de Godard, l'une de ses plus belles réussites, en même temps qu'une étape décisive dans l'évolution esthétique du cinéaste. En effet, c'est avec ce film que Godard trouve ce ton nouveau qu'il ne quittera plus, un ton plus ouvertement poétique, et moins directement politique. La beauté des images, souvent liée à la nature (que Godard filme comme personne) confère à Sauve qui peut (la vie) une tonalité apaisée, méditative et philosophique. Cette veine-là, Godard l'explorera de plus en plus par la suite ; il est donc d’autant plus passionnant d’assister aux prémisses. La poésie de l'image prend de plus en plus le pouvoir (les gros plans sur le visage de Nathalie Baye sont par exemple très marquants), mais, ici, elle le partage avec des thèmes chers au cinéaste tels que l'enfance, la difficile relation hommes/femmes ou encore la prostitution, qui est évoquée d'une manière on ne peut plus frontale (la discussion très crue entre le personnage joué par Huppert et sa sœur dans la cuisine, renvoie à la confession non moins crue à laquelle se livrait Mireille Darc au début de Week-end [1967]).
Sauve qui peut (la vie) annonce l'œuvre à venir en perpétuelle évolution et en questionnement constant. En cela, c'est un film d'une importance non seulement artistique, mais aussi historique.

Pierre Silvestri
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2010年04月09日

LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE (film français de Luis Bunuel - 97 minutes - 1972)

Trois couples de notables qui n'arriveront jamais à prendre ensemble le repas qui doit les réunir, un ambassadeur qui trafique de la cocaïne, des officiers qui fument de la marijuana, un évêque jardinier et meurtrier et, en prime, la recette précise du Martini dry - le cocktail préféré du cinéaste Luis Bunuel – : voilà une manière comme une autre de présenter Le Charme discret de la bourgeoisie.
Réalisé en 1972, ce film est foutraque, subversif, incroyablement inventif, « même si jamais le mot surréalisme n'était prononcé sur le plateau », se rappelle le coscénariste Jean-Claude Carrière. Le réalisme apparent y cède peu à peu la place à une logique du songe, à travers de drôles de récits gigognes, de plus en plus oniriques.
L'idée de base du film tourne autour du mot répétition. En effet, les diverses histoires se répètent avec ou sans variation. Une situation permet de développer ce motif : celle du repas sans cesse interrompu. Le film s'est d'ailleurs longtemps appelé Les Invités.
Le danger qui existe avec le cinéma de Bunuel est la tentation de vouloir interpréter à tout prix. Il vaut mieux se garder de chercher des signi¬fications précises et accepter la narration unique du cinéaste espagnol. Voir un Bunuel, c’est avant tout faire un voyage mental et expérimenter loin de l’obsession de l’analyse.
La principale difficulté dans la conception du film, selon Jean-Claude Carrière, était de trouver des événements qui ne soient pas de la plus totale banalité, mais qui ne soient pas non plus fantastiques, irrationnels. « Aller dans un restaurant dont le patron vient de mourir et gît dans la pièce voisine, et voir le personnel insister pour vous servir, c'est tout à fait concevable ! » Il a fallu cinq versions du scénario pour arriver à réduire le gouffre entre ce qui relève du banal et de l'impossible dans le récit.
Avec son esthétique très années 70, couleurs passées, personnages cravatés en costume trois pièces, et Michel Piccoli en « guest star », Le Charme discret de la bourgeoisie a quelque chose d'un film de Claude Sautet qui serait devenu fou, ou dont on aurait mélangé les bobines. Le regard de Bunuel sur la France a quelque chose de passionnant et de juste. Sa façon de considérer les rituels de la bourgeoisie était très particulière. Aucun autre cinéaste n'a eu ce regard perçant et noir. Il avait aimé Mai 68, il se demandait s'il y avait eu une influence lointaine du surréalisme sur le mouvement. Mais, quelques mois plus tard, impossible de se tromper, la bourgeoisie avait repris le contrôle de la société. Le film a dû faire près de deux millions d'entrées car le cinéma avait une importance culturelle qu'il n'a plus. Et cette étrange fable finit même oscar du meil¬leur film étranger, ce qui paraît inimaginable aujourd'hui.

Pierre Silvestri
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2010年03月25日

PARIS, TEXAS (film franco-allemand de Wim Wenders - 145 minutes - 1984)

Dès les premiers plans du film, on a le sentiment profond d’un retour aux origines du cinéma. De l'exploration de l'espace par le regard de la caméra naît conjointement un personnage et une fiction qui tient de l’archétype, celle de la recherche d'une identité à travers la filiation et la (re)constitution d'une famille. D’entrée, la musique de Ry Cooder nous entraîne dans le récit. Elle est typiquement américaine, née du mariage du blues, du rock et de la country music.
Travis nous apparaît comme surgi de nulle part, se dirigeant vers nulle part. Il finira par s'enfoncer dans la nuit, vers une destination inconnue. Il semble impossible de ne pas songer aux héros de western. C'est par l'espace que le film prend forme. La référence au western est donc naturelle et incontournable comme il était logique et évident que la fascination de Wenders pour le cinéma américain le mène à se replacer de la sorte dans les conditions de surgissement du mythe cinématographique.
Mais l'entreprise de Wim Wenders ne saurait être ce seul retour à l'état primitif du cinéma. Le titre même du film renvoie métaphoriquement au rapport entre l’Europe et les Etats-Unis. Sa justification anecdotique renvoie au père de Travis dont la femme était originaire de Paris-Texas). A la fascination des européens pour le Nouveau Monde répond celle des Américains pour le Vieux Continent enraciné dans le passé. Par là se rencontrent les deux axes du film : l'espace et la filiation (Travis a acheté un terrain à Paris-Texas, là où il fut conçu, d'après ce que lui a raconté son père). Le trajet de Travis répond à l'évolution du cinéma américain (du muet à la parole), c’est-à-dire à celle d'un espace ouvert et illimité à un espace fermé et délimité par des vitres, des cloisons, des portes. La narration commence sur fond d'aventure avant de virer à l'introspection du désert aux cabines de peep-show.
Ce que Paris, Texas nous fait découvrir, c'est le rôle même du cinéma, cette possibilité de percevoir la réalité brute, hors de toute catégorie, de tout système qui en effacerait l'altérité absolue. Travis, comme tous les héros de Wenders, n’appréhende pas le monde comme un système cohérent dans lequel il est impliqué, mais comme une succession de moments, d'images, de spectacles dont il devient le spectateur privilégié et qu'il se met alors à découvrir en dehors de sa présence. D'où l'opacité des êtres wendersiens, irréductiblement extérieurs les uns aux autres et qui ne peuvent se connaître que par la médiation : jeux d'imitation, utilisation du talkie-walkie puis du magnétophone (tout cela concerne la relation entre Travis et son fils). On pourrait aussi citer tout un arsenal d’exemples pour ce qui est de la relation entre Travis et la mère de son fils, Jane.

Pierre Silvestri
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2010年02月11日

LES NUITS DE LA PLEINE LUNE (film français de Eric Rohmer - 95 minutes - 1984)

« Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison ». Voilà le sous-titre du quatrième film de la série des « Comédies et proverbes » d'Eric Rohmer. Quatre chapitres égrènent autant de mois, de novembre à février, le premier posant on ne peut plus clairement la situation (qui, comme souvent dans la série, ne colle pas exactement terme pour terme au proverbe choisi).
Deux longues conversations entre Louise et son copain Octave et entre Louise et son ami Rémi détaillent le point de départ du récit et semblent déjà en dessiner toutes les conséquences possibles. Le pour et le contre sont pesés, les risques identifiés. De l'instabilité de Louise naît l'intrigue et ce sont ses trajets incessants entre ses deux maisons qui vont rythmer le film. Le générique de début est porté par un panoramique allant de la rue à l'immeuble de banlieue de l'héroïne et logiquement, quand arrivera celui de la fin, la caméra bougera dans le sens inverse.
Ces mouvements qui parsèment Les Nuits de la pleine lune ne se limitent pas à accompagner les déplacements des personnages mais font entrer en jeu une problématique sociale en abordant la question des « villes nouvelles » naissant aux abords des grandes agglomérations et provoquant des mutations importantes dans les modes de vie (avec cette attention à l'environnement, nous avons là l'une des composantes du cinéma de Rohmer qui fait que celui-ci peut être qualifié à la fois d'intemporel et de précisément daté).
Les Nuits de la pleine lune font penser à un chant polyphonique pour deux voix, enchanteresses. La première est celle d'une jeune femme pour qui l'ascension des années 80 est une perspective grisante. Hélas disparue juste après la sortie du film, Pascale Ogier tranche avec les héroïnes habituelles d'Eric Rohmer, romantiques et désuètes. Ici, elle devance son époque, fabrique des lampes futuristes, trimballe son fourbi dans un cabas en plastique et marche avec des chaussons d'extraterrestre. Farouchement indépendante, elle a pour mission de délivrer les hommes, en se sauvant elle-même. Ses paroles sont pleines de mots doux, de mots féroces, de mots de secours.
A sa voix diaphane se mêle celle de Fabrice Luchini, à peine sorti de la chrysalide. L'acteur joue un dandy brimé, pauvre confident dont la gent féminine n'attend rien d'autre qu'une amitié respectueuse. Fonctionnelle jusqu'au paroxysme, superbement filmée, la ville sert de caisse de résonance à leurs refrains, qui finissent par s'unir. Ce film continue d'émerveiller par sa justesse prémonitoire et sa beauté fragile.

Pierre Silvestri
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2010年01月11日

LEMMING (film français de Dominik Moll - 125 minutes - 2005)

« Est-ce que tu m’aimeras quand je serai vieille ? » Dans le nouveau labyrinthe signé par Dominik Moll et son scénariste Gilles Marchand, la question de Bénédicte (Charlotte Gainsbourg) adressée à son époux Alain (Laurent Lucas) est une clé essentielle.
Lemming, film d’atmosphère, distille ce même venin anxiogène qui habitait Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), où l’on s’aventurait déjà vers des ambiances proches du surnaturel. On pense par exemple au doute obsédant de Bénédicte qui salit la façade blanche de son pavillon désincarné, comme à cette trace de sang qui semble ne pas vouloir quitter le mur de sa chambre d’amis.
Le deuxième long métrage de Moll est une œuvre de doubles, de vampires, de fantômes et de faux-semblants, de rongeurs suicidaires – à moins qu’ils ne se noient par épuisement.
La paire Moll-Marchand connaît ses classiques et parsème le film de quelques solides parentés : David Lynch pour l’hésitation fantastique comme un vertige au fond d’un couloir sombre ou pour le travail sonore très soigné, et Alfred Hitchcock pour sa bande sonore mais aussi son fétichisme morbide (lieux hantés, jeu de portraits).
Démarquage minutieux d’Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming en reprend le schéma amical et viril puis l’entraîne vers un récit amoureux et féminin. Il est question de deux couples et de ce que l’un pourrait devenir : un jeune ingénieur et son double qui est un homme lâche et décomplexé, une femme au foyer et son reflet qui est une dépressive suicidaire plongée dans un désespoir sentimental et jugée « étrange » par son mari qui ne voit même pas le mal qu’il lui fait.
Bénédicte est comme vampirisée par la femme du patron de son mari. Ce Rebecca (film d’Hitchcock dans lequel une jeune fille est avalée par le fantôme d’une morte dont la photo issue du passé revient comme un refrain) new look se révèle très ludique.
Aidé par une distribution irréprochable (et de laquelle émergent les deux Charlotte, Gainsbourg et Rampling), Moll confirme son art des énigmes et des ombres, son talent pour naviguer entre quotidien et irrationnel, cette aisance à créer des atmosphères cauchemardesques à partir de petits riens : un intrus dans la chambre, un baiser volé, un rongeur dans une tuyauterie qu’on croyait aussi propre que la maison jusqu’ici bien tranquille…

Pierre Silvestri
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2009年12月03日

EYES WIDE SHUT (film américain de Stanley Kubrick - 159 minutes - 1999)

Après avoir exploré l'Espace et l'Histoire, l'horreur et la guerre, le crime et le désir, Kubrick, en 13 films, a couvert la plupart des genres tout en traitant de ses thèmes favoris. Parmi eux, on peut citer la violence qui est dans le cœur de chaque homme et tout ce qui en découle, notamment le pouvoir, la guerre, la bêtise...
Dans Eyes wide shut, le docteur Harford incarné par Tom Cruise n'est pas différent des autres personnages kubrickiens qui sont tous prisonniers d'un système ou d'une éducation, confrontés à une situation extrême et exceptionnelle détruisant leurs rêves, leurs illusions, leurs ambitions.
L'Homme est la fascination de Stanley Kubrick dont il dresse un portrait cynique, analytique, amer, froid, et le laisse rarement s'échapper vivant de ses films. Il perd son innocence ou sa vie.
Généralement, l'Homme a le droit à sa rédemption, sa renaissance ; c'est là que se situe l’éthique de Kubrick.
Chacun a sa propre vision du sexe, et donc ses propres peurs. Eyes wide shut ne parle pas de la sexualité de chacun, mais bien de la peur des individus face à leurs instincts, leurs idées, comme si c'était la seule chose qu'ils ne pouvaient pas contrôler, tout en cherchant à dominer leurs désirs et autres fantasmes.
Par rapport à Rhapsody, la nouvelle d’Arthur Schnitzler dont le film est adapté, Stanley Kubrick a gommé tout élément psychanalytique dans son script et a rajouté un personnage milliardaire et mystérieux joué par le metteur en scène Sydney Pollack.
Jamais Tom Cruise et Nicole Kidman n'ont été aussi bien dirigés. Si Cruise s'aventure sur un chemin tentant, tortueux, terriblement dévastateur pour sa conscience, Kidman semble voguer sur ses fantasmes et son regard exprime avec intensité bien des sentiments et passions humaines.
Eyes wide shut touche de nombreux thèmes : la jalousie destructrice, le mensonge, l’institution du mariage, la confiance au sein d’un couple, etc.
La séquence d’orgie de la dernière partie du film est une sorte d’explosion orgasmique qui arrive après bien des frustrations sexuelles évoquées par le couple incarné par Cruise et Kidman.
Kubrick a osé affronter son pays, les États-Unis, sur son plus fort tabou (le sexe) avec sa plus grande star (Cruise). Son testament visuel est avant tout une vision éthique qui est tout sauf manichéenne.
Eyes wide shut analyse avec profondeur l'être humain et sa dépendance vis-à-vis des schémas qu'on lui impose. Le couple vedette réveille la part sombre qui est en chacun de nous, et dans une société qui a ses propres règles, essaie de la gérer.
Le dernier opus de Stanley Kubrick est un testament personnel dans lequel les idées, les principes, les valeurs philosophiques du cinéaste défunt circulent.

Pierre Silvestri
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2009年11月07日

LE REGARD D’ULYSSE (film turc de Théo Angelopoulos - 169 minutes - 1995)

Quand le cinéma évoque l'Histoire avec un H outrageusement majuscule, il y a évidemment quelque chance pour qu'il se prenne les pieds dans le tapis de la grandiloquence et de la solennité ennuyeuse. À ce titre, l'argument du film Le Regard d'Ulysse, opus majeur de Théo Angelopoulos, est une sorte de cas d'école.
C'est l'histoire d'un cinéaste, A., qui revient dans son pays la Grèce et entreprend de se balader dans les Balkans, pas pour jouer le touriste, bien sûr, mais pour une quête menée à de multiples niveaux. D'abord, retrouver une mémoire du cinéma : les films disparus des frères Manakis, documentaristes balkaniques du début du XXe siècle qui cavalaient de pays en pays pour enregistrer la vie de tous les jours. Par la même occasion, le cinéaste part à la recherche du temps perdu, de ses amours anciennes comme de ses racines d'homme européen. En contrepoint, omniprésente, se dessine la radiographie d'un continent tout aussi déchiré que la psyché du personnage, avec notamment l’échec du communisme dans les Balkans qui a sombré dans la dictature et la guerre ethnique en ex-Yougoslavie du début des années 90 qui a vu le fascisme serbe entraîner le génocide du peuple bosniaque.
Si la fiction d'Angelopoulos n'était que le développement linéaire de ces éléments scénaristiques, elle ne serait pas aussi passionnante qu’elle ne l’est. Or, Le Regard d'Ulysse est avant tout un grand film « de » la pensée, et pas « sur » la pensée. C’est l'histoire d'une psychologie en mouvement à travers un itinéraire mélancolique d'une beauté majestueuse.
En revenant à L’Odyssée d’Homère et au mythe d’Ulysse, Angelopoulos développe toute une réflexion sur l’aventure humaine ainsi que sur son rapport à l’Histoire et à Dieu.
Il donne au récit le caractère d’un mythe en accumulant des éléments immémoriaux : le Danube, les idoles brisées et les ruines modernes. Son film est un monumental état des lieux. La durée de l’œuvre et les méandres géographiques du parcours que le cinéaste propose traduit le projet de construire l’épopée contemporaine.
Que cherche A. dans les bobines oubliées ? Un regard originel et innocent sur l’histoire de l’Homme. Tout comme Ulysse, son regard peut porter toute l’aventure humaine.

Pierre Silvestri
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2009年10月15日

LA REINE MARGOT (film français de Patrice Chéreau - 160 minutes - 1994)

Août 1572. Paris est en ébullition. Le protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, s'apprête à épouser Marguerite de France, alias Margot, catholique, fille de France, fille de Catherine de Médicis, et sœur de l'instable roi Charles IX. Les deux époux ne s'aiment pas. Il s'agit d'un mariage politique orchestré par Catherine de Médicis. Il est destiné à apaiser les haines et les rivalités entre catholiques et protestants ainsi qu’à ménager les susceptibilités : celle du pape Grégoire XIII, celle de l'Espagne et celle des états protestants.
La peur, l'hostilité et la violence se ressentent jusque dans Notre-Dame, lieu où le mariage est célébré. Les frères de Margot affichent une morgue sans retenue et ne cachent pas les relations ambiguës qu'ils entretiennent avec leur sœur. Margot est une princesse arrogante et volage. La reine Catherine ourdit un complot le jour même des noces de sa fille.
Chacune des parties cherche à en découdre et la maladresse de la reine mère couplée avec les ambitions contraires des divers personnages, sans oublier le goût du pouvoir des princes, feront basculer le pays tout entier dans un terrible massacre, six jours seulement après les noces. Ce sont ces sombres heures qui donneront à Margot l’occasion de découvrir des notions qu’elle ignorait jusqu'alors : l'altruisme, l'amitié et l'amour.
Patrice Chéreau dépeint une période finissante. Les Valois sont au bord de l'extinction, et les Bourbons, incarnés par Henri de Navarre, cible de cette famille, sont porteurs d'un renouveau politique. La famille royale est présentée comme une famille mafieuse et amorale.
La Reine Margot n’est pas un film historique. Ce n’est pas la prétention du cinéaste. En digne successeur de Dumas dont il adapte le roman, Patrice Chéreau a eu la volonté de mettre en mouvement le tableau noir de la légende. Contrairement à ce que le film dépeint, la cour des Valois de cette époque est resplendissante et la France connaît, après plusieurs années de guerre civile, une véritable renaissance culturelle et politique. Face au monde austère du protestantisme, tombé en désuétude, la cour est très loin du déclin mis en scène par Dumas et Chéreau.
Patrice Chéreau a su mettre en scène le coté sombre et obscur de la légende. On peut voir se dessiner un parallèle entre cette légende noire et les terribles guerres fratricides qui sévissaient à l'époque de la sortie du film en ex-Yougoslavie. À ce propos, le choix de Goran Bregovic (ex-Yougoslave de mère serbe et de père croate) comme compositeur de la musique n'est certainement pas fortuit.
Le sang, le sexe et la violence sont comme les motifs de ce film si pictural. Le jeu d'acteur est réellement impressionnant. Isabelle Adjani est royale en princesse sacrifiée, Jean-Hugues Anglade époustouflant de démence, Virna Lisi incarne une Catherine de Médicis absolument effrayante, calculatrice et vampirique. La sobriété de Daniel Auteuil est également à souligner.
La Reine Margot ressemble à une peinture flamande du XVIe siècle. La photo est superbe, les décors sombres et sobres, les costumes flamboyants, et la vision du Louvre que nous propose le cinéaste est inédite. Chéreau a réalisé un film extrêmement moderne, défenseur de la tolérance et dénonciateur des dictatures.

Pierre Silvestri
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2009年09月20日

Ciné-club avec Uda Shigeki, l'acteur de Mogari no mori

On se réunit une fois par mois
pour parler du cinéma européen.

Pierre Silvestri, l'animateur du club,
fait chaque mois un exposé sur
un réalisateur européen et un de ses films.

Le 26 septembre à 18h00,
Uda Shigeki,
l'acteur principal de
La Forêt de Mogari,
(殯の森, Mogari No Mori)
http://french.imdb.com/title/tt1016205/combined

7250861.jpg

viendra spécialement pour parler d'un film qu'il aime beaucoup,
"37°2 le matin",
avec Pierre et nos amis du cinéma européen

au Studio Walhalla
près de la gare JR de Nara.
http://www.nara-zenei.com/event/map.html

Nous contacter : info@eurokn.com
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2009年09月15日

37°2 LE MATIN (film français de Jean-Jacques Beineix - 180 minutes - 1986)

Zorg rencontre Betty et c’est l’amour fou, la passion comme elle n’existe que dans les livres. Justement, des livres Zorg en écrit, et Betty est persuadée qu’il mériterait d’être publié. Est-ce le refus des éditeurs qui la fait sombrer dans la dépression ? Ou bien l’étroitesse d’esprit de ceux qui ne supportent pas leur amour dévorant ? Betty devient de plus en plus incontrôlable...
Des deux versions du film, la version intégrale (durée de 3 heures environ), dite longue par rapport au montage cinéma, est la meilleure. Le film gagne une heure, au sens propre et figuré, car il profite de chaque rallonge et de chaque rajout de scène qui viennent sustenter la fusion destructrice qui unit les deux protagonistes. Leur histoire gagne en intensité. 37°2 le matin en version longue, c’est plus d’orgasme, de félicité, de peur, de désespoir et de douleur.
Cette adaptation du livre éponyme du romancier Philippe Djian (né en 1949, il est considéré par certains comme l’héritier français de la Beat generation) publié en 1985, véritable phénomène à sa sortie en 1986, 37°2 le matin a été vite estampillé film de toute une génération. Les crises d’hystérie et de folie de la jeune Béatrice Dalle, qui campait avec Betty son premier personnage au cinéma, son amour fusionnel pour Zorg, interprété par un Jean-Hugues Anglade investi d’une mission dramatique, l’issue tragique de leur romance, les mythiques plages de Gruissan, la complicité festive entre les acteurs, tout cela nourrissait les fantasmes et les passions d’une jeunesse avide de rébellion et d’émotion. Sur la douce musique de Gabriel Yared, qui signa à cette occasion un thème musical à succès, le charme opéra.
L’amour des deux jeunes gens, seuls au monde, prêts à s’aimer jusqu’à la mort, peut être perçu comme naïf, mais révèle la pleine conscience de ce qui leur manque au sein de la société dans laquelle ils vivent.
Jean-Jacques Beineix qui se remettait de l’échec cuisant de La Lune dans le caniveau (1983), assagissait sa mise en scène. L’éclairage de 37°2 n’est ni criard ni esthétisant. Les décors y sont plus sobres et réalistes. Néanmoins, le talent visuel du réalisateur est toujours éloquent, notamment quand il s’agit de retranscrire la douce chaleur estivale de Gruissan. Il a abandonné les effets visuels clinquants et s’est surtout intéressé à l’émotion.

Pierre Silvestri
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2009年08月09日

SADE (film français de Benoît Jacquot - 95 minutes - 2000)

L'image de Sade (1740-1814) se résume le plus souvent au sadisme. De l'homme, on sait surtout qu'il a passé une grande partie de sa vie en prison pour avoir écrit des livres scandaleux (La philosophie dans le boudoir, Justine ou les malheurs de la vertu, Les 120 journées de Sodome pour ne citer que les plus célèbres). Ce que l'on connaît beaucoup moins, c'est son rôle pendant la Révolution française. C'est sur cette période méconnue de la vie de Sade que se concentre le film de Benoît Jacquot.
Libéré en 1790 - à cinquante ans - des geôles royales, le marquis de Sade devient membre de la section des Piques dirigée par Robespierre. Il rédige plusieurs brûlots révolutionnaires. Mais ses origines nobles et sa sulfureuse réputation le conduisent de nouveau en prison en 1793. En effet, le très puritain Robespierre ne peut avoir la moindre compassion pour l'auteur de Justine.
Du séjour de Sade dans différentes prisons pendant la Terreur, il n'existe à peu près aucun témoignage. Jacquot et son scénariste Jacques Fieschi ont donc pu introduire à loisir des éléments fictionnels. Ils ont imaginé que la maîtresse de Sade, Marie-Constance Quesnet (qui demeurera aux côtés de l'écrivain jusqu'à sa mort en 1814), séduit un dirigeant jacobin pour obtenir que son amour ne finisse pas sur la guillotine. De même, ils inventent un Sade qui profite de son incarcération pour monter une pièce de théâtre (il en a écrit plusieurs) et fait l'éducation sentimentale et sexuelle d'une jeune détenue de la haute noblesse.
Elle s'appelle Emilie de Lancris. C'est une adolescente exquise de naïveté, mais d'une avide et prometteuse curiosité. Pour Sade, la proie est à conquérir. Mieux, elle est l'élève idéale à qui inculquer son credo : la liberté est un tout, le bonheur et la prétendue immoralité ne sont pas ennemis, bien au contraire. L'initiation sadienne de l'innocente Emilie s'accomplit dans une scène où Benoît Jacquot manie avec un réel doigté la crudité et l'ellipse.
De ce film qui donne envie de (re)lire l'œuvre et de mieux connaître son auteur, il ressort des dialogues très travaillés qui donnent une bonne approche de la philosophie sadienne : « Suivez votre instinct. », « Il n'y a pas d'idées sans corps et pas de corps sans idées. », etc.
Donner corps à Sade n'est pas une mince affaire. Il fallait un acteur d'exception pour endosser ce rôle. Daniel Auteuil qui avait donné son accord dès l'écriture du scénario, se montre parfaitement à la hauteur de la tâche.

Pierre Silvestri
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2009年07月09日

APRILE (film italien de Nanni Moretti - 78 minutes - 1998)

Depuis 1976, Nanni Moretti a signé dix longs métrages qu'il considère comme les « dix chapitres d'un même roman ».
En près de trente-cinq ans, Moretti a raconté une histoire italienne où l'intime le dispute à la chose publique. Où l'ironie et l'autodérision campent un univers sincère et sans concession tout entier organisé autour de Nanni-le névrosé (Journal intime en 1994), Nanni-le politique (Palombella Rossa en 1989, Le Caïman en 2006), Nanni-le père de famille (Aprile, La Chambre du fils en 2001). Comme il le déclare : « Il semble qu'en partant de moi, je sois parvenu à raconter les autres. » Dans ce cinéma narcissico-autarcique, et c'est tout l'art du contre-pied de Moretti, les autres fourmillent. Amis, père et mère enseignants, frère aîné, compagne ont dès le début constitué la tribu Moretti.
Aprile adopte la structure zappée, saccadée, fractale du hip-hop : c'est un film qui avance cahin-caha, qui carbure au doute, à la critique, au surplace et au retour en arrière, aux embardées et aux ellipses.
Après le roman de Journal intime (1994), voici le carnet de notes gribouillé au hasard des jours et des pages, le cahier de brouillon griffonné et raturé au gré des intuitions et des pensées. Pourtant, sous ses airs aléatoires et fracturés, Aprile est un film limpide à suivre.
La première raison tient évidemment au personnage Moretti lui-même, à son corps burlesque et à ses saillies humoristiques régulières ; Aprile peut bien partir dans tous les sens, caler ou faire des détours, le corps de Moretti est toujours là comme une balise qui fait masse, un point d'ancrage omniprésent, un centre structurant qui autorise toutes les libertés.
La seconde raison tient à la structure souterraine du film, à la fois très simple et très solide. Le désordre apparent d'Aprile est ainsi ordonné par trois fils rouges : la naissance du fils Moretti, les élections législatives italiennes et les projets cinématographiques du cinéaste.
On retrouve donc ici les trois motifs de Journal intime, les trois centres d'intérêt principaux de Moretti : la sphère privée, la sphère politico-sociale et, entre les deux, la sphère cinématographique. Sauf qu'ici, au lieu de jouer ses trois cartes successivement, Moretti les mélange en permanence : les trois sphères sont fortement emboîtées les unes dans les autres.

Pierre Silvestri
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2009年06月21日

CACHE (film franco-autrichien de Michael Haneke - 115 minutes - 2005)

Caché, plus encore que d’autres films, révèle combien l’image peut être à la fois matériau et objet d’un certain cinéma. Michael Haneke donne ainsi à voir, dans cette œuvre au réalisme exacerbé, un cadrage serré et de longs plans fixes. Tout cela concourt à la tension angoissante d’une étrange machination qui permet d’interroger l’histoire d’un individu en regard de l’Histoire collective.
D'un film de Michael Haneke, il serait aisé de se limiter pour tout commentaire à son contenu violent, même si ici cette violence se fait sourde et latente en dépit de l'ahurissant électrochoc qui secoue le métrage dans sa dernière partie. Caché recèle un principe narratif et visuel selon lequel, dans un monde tenté par la dérive sécuritaire, la sauvagerie provient du hors champ. La violence n'a pas de nom et le metteur en scène se garde d'ailleurs bien de lui en apposer un dans un épilogue réjouissant d'ambiguïté. La menace peut surgir de nulle part : de derrière une porte d'entrée, d’une simple blague racontée lors d’un dîner ou du monde qui nous entoure. Haneke, avec la froideur qui le caractérise, ausculte par le biais de ce couple vedette formé de Daniel Auteuil (Georges, le personnage principal) et de Juliette Binoche, un microcosme dans lequel le péril est perpétuel et renforcé par une télévision qui nous bombarde d'actualités agressives et intolérables, dans lequel les blessures secrètes et liées à l'Histoire (la guerre d’Algérie) se rouvrent quarante ans plus tard. Théoricien de l'image, radiographiste de la société, le cinéaste autrichien a toujours lié l'Histoire à l'histoire, de façon visuelle ou sensorielle, renvoyant par exemple dans Funny Games la dérive d'une famille à l'horreur des camps nazis. Ici, il s’agit de l'Irak, l'Afghanistan, et en fond, comme un piège honteux qui se referme, la noyade de deux cents « français d’Algérie » par les forces de police menées par Maurice Papon en octobre 1961. Sont-ils les fantômes dont les enfants et petits-enfants reviennent hanter les responsables quelques décennies plus tard ? Qui est responsable du drame survenu aux parents du petit algérien qui partageait la chambre de Georges dans son enfance ?
Qui est à l’origine des vidéocassettes qui enregistrent pendant de longues heures l’image de la façade de la maison de Georges ? Où se trouve la caméra qui filme ses allées et venues et celles de sa famille ? Quelqu’un en veut-il à Georges, l’unique destinataire de ces envois sans signature ni revendications ? Que souhaite obtenir le mystérieux expéditeur de ces cassettes, parfois accompagnées de représentations ensanglantées ? Ces questions nourrissent d’autant plus l’angoisse que la police refuse d’intervenir. Chargé de ces interrogations, Caché n’offre finalement pas de solution au spectateur. L’enjeu de ce film réside ailleurs, dans les interstices de sa mise en scène.

Pierre Silvestri
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2009年05月08日

LE MIROIR (film soviétique de Andreï Tarkovski - 110 minutes - 1974)

En sept films de long métrage, Andreï Tarkovski, réalisateur « russe » officiant en URSS a formé une œuvre incomparable portant le cinéma vers une esthétique et des types de narration totalement inédits qui lui ont permis de figurer sa pensée et sa vision du monde. La tentation d’exhaustivité se heurte à l’extraordinaire densité de la filmographie d’un artiste pour lequel il a fallu sans cesse composer avec des autorités hostiles et vivre l’exil.
Dans Le Miroir, les événements et les figures majeures de l'existence d'Aliocha surgissent dans un afflux désordonné de souvenirs : sa mère, jeune et jolie, attend devant la maison du grand-père ; le père a quitté sa famille et sa présence survit sous forme de poèmes lus à la tombée du jour ; l'enfant assiste à un violent orage, puis à l'incendie d'une grange voisine ; etc.
Trente ans plus tard, Aliocha téléphone à sa mère. Il est malade depuis quelques jours. Comme l'avait fait jadis son père, il s'est éloigné de sa femme Natalia et de leur fils Ignat.
Alors que les souvenirs personnels reviennent à l'esprit, des faits historiques marquants revivent sous forme de vieilles bandes d'actualité : la guerre d'Espagne, la prise de Berlin à la fin de la seconde Guerre mondiale, les fêtes de la victoire à Moscou à l’issue du conflit, etc. Aliocha revoit encore comment il a appris à manier un fusil et comment sa mère, employée d'imprimerie en 1937, fut prise de panique en croyant avoir laissé une coquille dans un texte officiel.
Le Miroir a pour sujet l'émotion associée aux visions du souvenir. Tarkovski a composé un film à partir du matériau insaisissable du souvenir, de son souvenir. Il ne s'en cache pas : « Les destins de deux générations se superposent par la rencontre de la réalité et des souvenirs : celui de mon père dont on entend les poèmes dans le film et le mien. La maison du film est la reconstruction exacte de la nôtre, et a été construite à l'emplacement de cette dernière. On peut dire qu'il s'agit là d'un film documentaire. Les images d'actualité du temps de guerre, les lettres d'amour de mon père à ma mère, sont des documents qui façonnent l'histoire de ma vie. »
Le metteur en scène intègre aussi dans son propre souvenir personnel la mémoire collective du peuple russe. Le processus de remémoration est basée sur cette diversité des points de vue. Le collectif se met toujours en branle à partir de l'itinéraire individuel du narrateur. La vision d’Aliocha sur son enfance est entrecoupée de documents noir et blanc sur la guerre et l'image de sa femme se trouve dynamisée par des documents très courts et percutants sur la guerre d'Espagne. Le cinéaste annexe à sa propre conscience meurtrie la souffrance du corps russe tout entier.

Pierre Silvestri
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2009年04月14日

BLOW-UP (film britannique de Michelangelo Antonioni - 110 minutes - 1966)

Londres 1966 : Thomas est un riche, célèbre et jeune photographe de mode qui prépare un livre d'images sur la misère urbaine. Il croit capter la réalité grâce à sa technique. Un après-midi, lassé des mannequins, il va prendre l'air dans Maryon Park et photographie à la volée quelques beaux clichés de nature déserte puis un couple qui se trouve là, dans le champ de son objectif.
La femme le remarque, vient vers lui et exige nerveusement le négatif, tente même de lui arracher mais Thomas refuse car la pellicule contient aussi des photos professionnelles qu'il doit d'abord développer. L'examen approfondi de ces dernières va bientôt lui faire comprendre qu'il a photographié - sans le savoir - un meurtre et qu'il est du même coup devenu un témoin gênant...
Écrit pendant deux mois puis réalisé à Londres d'avril à août 1966 en six semaines et monté durant un mois, Blow-Up de Michelangelo Antonioni obtint la Palme d'or au Festival de Cannes de mai 1967. Son scénario avait été inspiré à Antonioni par une nouvelle de Julio Cortazar (1914-1984), célèbre écrivain argentin qui flirta régulièrement avec la littérature fantastique, dont le cinéaste ne garda que le personnage du photographe interprété par David Hemmings. C'était le premier film qu'Antonioni tournait hors d'Italie.
La richesse de signification de Blow-Up est déjà inscrite dans le verbe intransitif anglais qui lui donne son titre : « to blow up » veut dire aussi bien « éclater », « exploser », « gonfler », « agrandir une photographie » voire même « sermonner, tancer ». Cette riche étymologie renvoie bien à la dynamique profonde du film. L'univers vain et désespéré dans lequel se mouvait avec une certaine sensation d'étouffement Thomas va exploser suite à la révélation chimique de l'agrandissement photographique : il va passer à travers le miroir, par-delà les apparences, jusqu'à avoir confirmation qu'il a bel et bien photographié un meurtre. Dès lors, il comprend aussi qu'il a vu ce que personne n'aurait dû voir, été témoin de ce dont personne n'aurait dû être témoin. Mais son désir de le devenir se heurte à sa propre peur d'une part (son appartement a été fouillé : on sait qu'il sait), au désintérêt étrange de ses amis et relations de l'autre. La célèbrissime scène finale de mimétisme, qui le remet en présence d'un groupe qu'il avait déjà croisé au début de l’histoire, achève de donner le sens de la révélation : la réalité s'est dissoute dans sa représentation. Et si telle représentation intéresse tel groupe, elle existe. Sinon, elle ne renvoie à rien. Blow-Up peut apparaître comme une critique éthique absolue de la société anglaise de 1967. Thomas est seul, en marge. Il incarne un témoin menacé, apeuré, effrayé de l'inhumanité de son propre milieu. Le film tance et sermonne intérieurement ce délaissement profond qui caractérise le monde moderne.

Pierre Silvestri
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2009年02月14日

CRIS ET CHUCHOTEMENTS (film suédois de Ingmar Bergman - 90 minutes - 1972)

Dans Cris et chuchotements, tout est juste, poignant, obsédant. Les séquences se succèdent et s'impriment en nous comme des traumatismes, des images qu’on ne peut oublier parce qu’elles représentent une vérité, aussi cruelle soit-elle.
Quand on connaît la douleur, la faiblesse, le désarroi d'une maladie, on est frappé par l'implacable justesse de ce premier plan où Agnès s'éveille et où son visage se contracte peu à peu, comme si la douleur recouvrait sa mémoire, un moment endormie, éloignée, et qu'elle s'imposait peu à peu, comme une évidence qu'elle ne peut semer. C'est un plan incroyablement violent, riche de cet art de la suggestion qu'a toujours eu Bergman et qui plutôt que de montrer la douleur, la fait ressentir avec une redoutable efficacité.
Il y a le tic tac des pendules, le temps qui fuit d'entrée, douloureusement, chaque seconde est un souffle qui s'éteint, chaque mot prend un écho étrange car c'est peut-être la dernière fois qu'on le prononce, il y a aussi le dernier moment de répit où l'on peut parler ou bien se souvenir, se calmer...
Tout dans ce film a une résonance particulière. Cette sensibilité au temps qui commence à manquer était déjà sensible dans Le Silence (1963) avec lequel Cris et chuchotements entretient de nombreux points communs (le huis clos, la malade alitée et souffrante, la proximité de la mort).
Harriet Andersson est impressionnante. Elle fait ressentir les accalmies fragiles avec finesse, elle est poignante dans sa douleur d'une insoutenable intensité dans les moments où elle a la respiration sifflante et où elle hurle sous les assauts de son mal atroce.
Cris et chuchotements est véritablement dérangeant dans son oppression constante et inquiétante. Les murs sont tendus d'un rouge sanglant et éclatant qui ne permet pas d'oublier la maladie, la longue agonie. Même les flash-backs avec lesquels on quitte cet univers confiné ne permettent pas de respirer. Ils sont impitoyables et font apparaître les trois soeurs du film sous un jour cru, violent.
Ainsi, le souvenir d'enfance d'Agnès qui aurait pu être un réconfort évoque sa mélancolie et la froide distance de sa mère. Maria, soeur d’Agnès incarnée par Liv Ullmann, d'apparence douce et belle, se souvient d'un épisode assez rude pour elle également, lorsque son ancien amant démasque sa froideur, sa dureté, son cynisme et son indifférence sous le masque trompeur de sa gentillesse. Elle est aussi d'une manière plus subtile celle qui supporte le plus mal la proximité d'Agnès, qui voudrait fuir, se cacher dans une réaction de lâcheté commune. La froideur de Karin, l'autre soeur incarnée par Ingrid Thulin, masque une nature trouble et dérangée. On revisite un épisode de son passé où elle pratique une automutilation devant son mari extrêmement strict. Elle est celle qui supporte la souffrance de l'agonisante sans trop s'en approcher, qui va régler les détails pratiques d'une manière cassante et sans tendresse.
Seule Anna, la servante, apporte un peu de réconfort à la convalescente, en la prenant dans ses bras, en l'entourant de son étreinte chaleureuse. C'est ce contact simple et animal seul qui peut un moment soulager les très grandes douleurs. Elle la presse contre sa peau, contre son sein, l'embrasse. Mais elle ne sera pas épargnée par la souffrance qui a tout envahi et ne jouira d'aucune considération pour sa prévenance, sa tendresse et son dévouement, elle en sera même méprisée.
La souffrance hante chaque scène comme une ombre constante. La mort même ne vient pas délivrer Agnès. À la faveur d'un songe d'Anna, la martyre cherche encore à toucher ses soeurs qui prennent peur. Juste après la mort de la convalescente, on assiste à la terrifiante oraison d'un pasteur qui évoque la dignité que Dieu lui a trouvée pour la gratifier d'une si grande souffrance avant d'avouer son doute et la profonde crise spirituelle que cette agonie éveille en lui.
Maria et sa tendresse enjôleuse parvient à apprivoiser sa soeur d'abord rêtive à tout contact. Mais une fois le choc du deuil passé, les caractères se remettent en place. La gentillesse de Maria n'est qu'un masque de bonne conscience et Karin est contrainte à refouler la tendresse qu'elle avait dans un moment d'égarement, osé éprouver.
Dans Cris et chuchotements, la douleur et la mort passent. Cette crise révèle et bouleverse les esprits, les met à nu. C'est le seul grand serum de vérité sur la vraie psychologie des gens avant qu'ils ne se réfugient dans le confort, les faux-semblants et l'hypocrisie coutumière de la vie qui reprend son cours.
Ingmar Bergman est le seul à provoquer une identification si intense et si douloureuse, à nous plonger dans notre intimité et ses secrets, à nous confronter à nos lâchetés, à notre nature profonde, à savoir explorer nos ténèbres avec tant de justesse.

Pierre Silvestri
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2009年01月06日

LA LETTRE (film portugais de Manoel de Oliveira - 105 minutes - 1999)

L'œuvre de Manoel de Oliveira est très diverse car elle s'étend sur soixante-dix ans et débute au temps du muet, traversant des périodes politiques et des conditions de production radicalement différentes. Qu'y a-t-il de commun, par exemple, entre un film comme Aniki Bóbó, en 1942, où certains ont cru voir la première manifestation du néoréalisme et d'autres comme Le Soulier de satin (1985) qui, exaltant la splendeur de textes éminemment poétiques et littéraires, se cloîtrent dans un cinéma de studio ?
Malgré cela, on découvre aisément dans chaque réalisation du cinéma d'Oliveira le même thème fondamental, celui du mystère. Tous ses films tournent autour d'une inconnue, d'un grand point d'interrogation, d'un mystère qui ramène le spectateur au mystère de la création, mystère de la vie tout simplement. Mystère de l'homme et de son passage sur terre, de l'homme aux prises avec ses passions et ses folies, son égoïsme et sa vanité. Inlassablement, Oliveira revient sur la lutte sans fin que se livrent les sexes, sur l'angoisse de la vie à laquelle seule la résurrection saurait donner un sens. Il est également question du mystère de Dieu.
Un des aspects les plus frappants de ce cinéma est sans aucun doute la fascination exercée par la littérature. Toutes les fictions de Manoel de Oliveira (à l'exception de Voyage au début du monde - 1997) ont à leur source une œuvre écrite ou font une place importante à la référence littéraire. C'est que le verbe est, plus que tout autre, le véhicule de la pensée. Adapter le texte d'un auteur est, pour Oliveira, exprimer bien sûr le trouble qu'il a exercé sur lui mais aussi creuser la vérité qu'il contient et rendre sensible la richesse qui lui est inhérente. Ce n'est pas raconter une histoire qui intéresse le cinéaste mais la comprendre et en atteindre l'essence.

Avec La Lettre, Manoel de Oliveira plonge La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette dans l'époque contemporaine en mettant en scène une des quatre adaptations de cette œuvre écrite en 1678 et considérée comme le premier roman moderne de la littérature française. Une jeune fille d'une rare beauté et de noble famille épouse un homme qu'elle n'aime pas, tombe amoureuse d'un autre, mais se refuse à lui, même après la mort de son mari, et finit seule, après avoir mené une vie de dévotion. Cette histoire, tout le monde la connaît ou en a entendu parler.
La Lettre est une sorte de film-éprouvette, la mise en présence d'un roman fondateur et d'une époque qui l'a oublié à force de penser le connaître. Il ne s'agit pas d'abolir la distance, mais de la creuser, puis de faire le film du fond du gouffre, les yeux alternativement rivés sur les deux bords, afin de les attirer à soi plutôt que de construire le pont suspendu qui les réunirait. Le fil n'est pas invisible et il n'y a pas d'équilibriste. La Lettre n'est pas une adaptation, plutôt un face-à-face explosif doté d'une mèche à combustion lente.
Manoel de Oliveira a reçu lors du Festival de Cannes 2008, à l’âge de 100 ans, sa première Palme d'or, une Palme d'or pour l'ensemble de son œuvre. Son désir de réaliser des films est intact : fin novembre 2008, il a commencé le tournage de Singularités d'une jeune fille blonde, adapté d'un conte de Eça de Queiroz, auteur réaliste portugais du XIXème siècle. Comme il l’a déclaré un jour : « Cesser de travailler, c'est mourir. Si on m'enlève le cinéma, je meurs ».

Pierre Silvestri
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2008年12月11日

L’HOMME SANS PASSE (film finlandais de Aki Kaurismäki - 95 minutes - 2002)

L’univers de Kaurismäki est l’un des plus caractéristiques du cinéma contemporain ; sa spécificité est de nous montrer la Finlande, pays situé aux confins de l’Europe dont les habitants sont présentés en situation d’exode ininterrompu qui les mène de la campagne à la ville, ceci débouchant sur la peinture d’une sorte de no man’s land de l’Europe où se donne le spectacle grotesque de la bureaucratie moderne. Il nous donne aussi à voir comment des territoires réels en voie de paupérisation ont pu prendre racine au sein d’un état prospère, en mettant en scène la réalité telle qu’elle est, sans concessions, et par conséquent pas celle présentée par les médias.
« Un homme sans nom arrive en ville et se fait tabasser à mort à la première occasion. C’est le début de ce grand drame épique : film ou devrais-je dire rêve, où des coeurs solitaires aux poches vides errent sous la voûte céleste de notre Seigneur…ou devrais-je dire, la voûte céleste des oiseaux. » : telles sont les premières phrases rédigées par Kaurismäki dans la note d’intention de L’Homme sans passé.
Cette œuvre est limpide, à priori, et pourtant il révèle, lorsqu’on l’analyse, des enjeux proprement métaphysiques : Kaurismäki a beau parler de voûte céleste, il n’est pas question pour lui de faire un film religieux ou mystique. A priori toujours, L’Homme sans passé raconte l’histoire d’un amnésique : pourtant lorsque le héros se fait frapper violemment, ce n’est pas une figure de style : il meurt réellement et le médecin prononce l’acte de décès. Dans la scène suivante, aucune indication ne nous est fournie sur son réveil brutal : résurrection ou réincarnation ? Il nous faudra nous contenter de sous-entendus, de pistes aussitôt démenties. Kaurismäki est un mystique d’un genre très particulier, un mystique athée en quelque sorte : non seulement il tord le cou à l’avance à tout discours religieux mais en plus il ancre son « rêve » dans un contexte social très virulent, le monde des exclus, ceux qui sont réduits à vivre dans des containers.

La couleur tient un rôle capital dans L’Homme sans passé. Elle domine l’univers des exclus (baraques peintes, chemises de couleurs vives, juke-box flamboyant). Même dans un décor absolument gris, on trouve toujours un carré rouge au mur ; le rouge habituellement lié au danger ou à la mort est ici la couleur de la vie, de l’espoir. La photographie, minutieusement composée par le chef-opérateur Timo Salminen, privilégie les couleurs froides et réalistes dans une lumière si particulière aux pays nordiques, une lumière qui ne finit jamais. Le plus souvent, les intérieurs sont sombres et un peu glauques. Kaurismäki semble littéralement amoureux des couleurs qui rappellent les films hollywoodiens des années 50. Chez lui, les couleurs n’ont aucun caractère réaliste.
Le héros du cinéma contemporain est désormais malade de sa mémoire. Il erre dans le récit, repasse toujours par les mêmes boucles : le réel lui apparaît toujours vierge même si parfois d’encombrants souvenirs remontent à la surface et le perturbent. Dans L’Homme sans passé, suite à un mauvais coup sur la tête, le héros se retrouve sans passé. Il intègre une petite communauté de démunis et y rencontre l’amour. Lorsque la police le retrouve et le remet sur le chemin de sa vie, il ne reconnaît pas son ex-épouse, ne souhaite pas réintégrer son milieu social et s’étonne du portrait qu’on lui dresse de son ancienne personnalité. Il est devenu un autre et son passé l’encombre. L’amnésie est ici une puissance de propulsion et de conquête, la possibilité offerte de se réinventer. L’avenir appartient à cet homme sans passé.
Pratiquement tous les films de Kaurismäki narrent l’existence de personnages économiquement modestes et brisés par le destin mais toujours forts d’une dignité et d’une honnêteté exemplaires. Au-delà de la douleur et des contraintes, ces personnages parviennent toujours à garder l’esprit des valeurs fondamentales comme la solidarité, la compassion et la simplicité. Le comique de L’Homme sans passé relève de cette opposition entre la relative banalité des épreuves que doit surmonter M et tous les stratagèmes qu’il doit entreprendre pour y parvenir. Kaurismäki sait transformer le moindre détail incongru en point de départ d’une mini-fiction burlesque (exemple : l’ouverture d’un compte en banque suivie d’un hold-up hilarant).

Pierre Silvestri
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2008年10月19日

AGUIRRE, LA COLERE DE DIEU (film allemand de Werner Herzog - 95 minutes - 1972)

Le film s'inspire du journal tenu par le moine Gaspar de Carvajal, chose que Werner Herzog ne manque pas de préciser au début du générique. Si cet homme a réellement existé, il n'a en revanche jamais mentionné dans ses écrits une quelconque expédition menée aux côtés d'Aguirre, mais il a lui-même pris part à ce genre d’expérience vingt ans avant celle d'Aguirre.
L’autre source d'inspiration pour le cinéaste à propos du personnage campé par un halluciné Klaus Kinski est le dirigeant africain Tito Okello (1914-1986). Il renversa le sanguinaire général Idi Amin Dada en 1979. En 1985-1986, il participa au coup d’état contre le président Obote en Ouganda, et dirigea le pays durant six mois avant d'être à son tour balayé du pouvoir.
Les relations entre Klaus Kinski et Werner Herzog sur le tournage furent à la fois houleuses et passionnelles, alors même que Aguirre, la colère de Dieu était leur première collaboration. Une situation qui d'ailleurs ira en s'accentuant au fur et à mesure de leur travail en commun successif, pour atteindre son paroxysme au moment de l’aventure de Fitzcarraldo (1982). En effet, Klaus Kinski était si désagréable que les membres de la tribu indienne engagés pour le film proposèrent au cinéaste de tuer l'acteur. Cette relation conflictuelle est relatée avec force par le metteur en scène dans Ennemis intimes (1999).
Kinski menaça un jour d’arrêter de tenir son rôle dans Aguirre alors que bon nombre de scènes étaient déjà en boîte et que l'équipe était très éprouvée physiquement par les conditions de travail. Herzog aurait alors menacé de mort l'acteur avec un revolver s'il quittait le tournage puis de retourner l'arme contre lui. Une version des faits que le cinéaste confirma quelques années plus tard, en déclarant qu'il aurait probablement été jusqu'au bout. De son côté, l'acteur ne manqua évidemment pas d'atténuer les propos du réalisateur, en déclarant que ce dernier s'était seulement contenté de brandir un pistolet mais pas de manière menaçante.
Aguirre, la colère de Dieu fut produit avec un budget plus que modeste (360 000 dollars), de manière souvent périlleuse, parfois sur des sentiers à flanc de montagne avec une sécurité minimum pour l'équipe du film. La totalité de cette oeuvre a été réalisée dans des décors naturels grandioses situés au Pérou avec une caméra qui était de surcroît volée. L'équipe de Aguirre embaucha sur place 450 figurants, dont 270 villageois, tandis que le cinéaste acheta pas moins de 400 singes en prévision d'une scène clé. Werner Herzog n'a jamais fait de storyboard pour son film. Tous les plans ont été entièrement improvisés sur place. Une grande partie du casting est composée d'acteurs débutants, à l'image de Cecilia Rivera, dont c'est l'unique rôle, ou de la participation de l'acteur-réalisateur brésilien Ruy Guerra, ami du Herzog.

Pour comprendre dans quel état d’esprit Werner Herzog se trouvait avant le tournage de cette oeuvre cinématographique légendaire, il suffit de se référer à ce qu’il déclara un jour : « Je n'étais jamais allé au Pérou avant de tourner Aguirre. J'avais imaginé les extérieurs, leur atmosphère, avec une grande précision. C'était très curieux. Tout était exactement comme je l'avais imaginé. Les extérieurs n'avaient pas le choix. Il fallait qu'ils se plient à mon imagination, qu'ils se soumettent à mon idée. C'est ce qui s'est produit. Les paysages ont répondu à mon appel ».

Pierre Silvestri
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2008年09月13日

PARLE AVEC ELLE (film espagnol de Pedro Almodovar - 110 minutes - 2002)

Marco, écrivain d'une quarantaine d'années, et Benigno, jeune infirmier, sont assis l'un à côté de l'autre mais ne se connaissent pas encore, lorsqu'ils assistent au spectacle de Pina Bausch intitulé Café Müller. Plus tard, Benigno raconte sa soirée à Alicia, jolie jeune fille dans le coma, dont il est l'infirmier amoureux depuis des années.
Marco, lui, commence une histoire avec Lydia, femme exerçant la profession de torero, qui, à son corps défendant, va l'amener à rencontrer Benigno et ainsi donner naissance à une amitié forte, compliquée et ambiguë.
C'est cette amitié que nous narre Pedro Almodovar en faisant émerger deux thèmes cruciaux : la solitude et la parole comme antidote.
Tous les personnages sont victimes de l’état de solitude : des femmes, coupées du monde dans leur coma, aux hommes, qu'elles ont abandonnés, en passant par les personnages secondaires ou même le taureau, qui se retrouve seul au milieu de l'arène. Ainsi, se croisent des destins qui portent en eux une blessure profonde. Celle-ci les met en face d'une solitude mortelle car c'est dans l'Autre que se trouve la preuve de notre existence. C'est son regard qui nous donne forme et son absence qui provoque notre déliquescence. Cela, Benigno l'a compris, pas avec son intelligence, mais plutôt grâce à un pragmatisme du cœur que seules les âmes simples peuvent atteindre. Et cette connaissance, il la partage avec Marco, l'intellectuel. Par ce biais, les deux hommes peuvent exister et les deux femmes survivre.
Ce thème de la parole est dépeint comme une arme à la puissance fondamentale. Elle blesse, libère, apaise ou détruit. En tout cas, elle doit être utilisée comme Benigno sait le faire, c’est-à-dire avec la plus grande sincérité, sinon elle entraîne la catastrophe. Il faut apprendre à parler même s’il n’est pas certain d’être entendu.

Le cinéma d’Almodovar n’a jamais cessé de devenir meilleur.
Ce cinéaste se concentre sur ce qu'il sait faire de mieux : créer des personnages qu'il aime en les mettant au service d'une histoire qu'il raconte avec talent et enthousiasme. Le baroque et l'excès qui le caractérisaient il y a encore quelques années, font aujourd'hui place à un style épuré qui n'en oublie pas pour autant les audaces formelles et les trouvailles grandioses qui s’intègrent parfaitement dans le récit.
Le propos d’Almodovar renforce son caractère subversif parce que l’outrance s’efface peu à peu au profit d’un ton plus crédible.

Pierre Silvestri
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2008年08月15日

LES IDIOTS (film danois de Lars von Trier - 110 minutes - 1998)

Lars von Trier est un phénomène unique dans le panorama du septième art mondial. A chaque long métrage, il a adopté un parti pris différent et indissociable du fond. Le formalisme virtuose de ses premiers films a progressivement laissé place à un cinéma débarrassé de toute scorie visuelle, pour ne représenter que la souffrance humaine.
Point culminant de cette évolution, le Dogme bien sûr, dont il a été l’un des principaux initiateurs avec Les Idiots. Mais ce retour à l’ascétisme filmique n’est pas un reniement de sa méthode passée, seulement une évolution nécessaire.
Le 13 mai 1995 à Copenhague, Lars von Trier élabore avec trois amis cinéastes le Dogme, sorte de « vœu de chasteté cinématographique ». Il s’agit de dix règles contraignantes, inspirées par les théories avant-gardistes des années 20, pour lutter contre un cinéma factice. Le réalisateur doit se libérer de toute ambition esthétique et thématique pour se concentrer sur la reproduction non truquée du réel.
Lars von Trier trouve dans ce défi la force d’oublier son irrépressible besoin de tout contrôler. Cette révolution lui permet de mener à bien un triptyque inspiré d’un conte pour enfant où l’héroïne se sacrifie par amour. Exit les plans cadrés à la perfection, Lars von Trier privilégie un filmage brut, caméra à l’épaule, pour mieux mettre à nu les sentiments. La trilogie est constituée d’un mélodrame religieux à la Dreyer réalisé avant le Dogme (Breaking the Waves-1996), d’un film réaliste (Les Idiots) et d’un mélodrame musical (Dancer in the Dark-2000), synthèse artistique des deux premiers opus.

Les Idiots est tourné à la manière d'un documentaire. L'image est brute et sans concession : les acteurs sont filmés par une caméra perpétuellement en mouvement, aucun travail n'est effectué sur l'image (il en est de même pour le son). Le film est en prise directe avec la réalité.
Les Idiots retrace l'histoire d'un groupe d'individus ayant décidé de vivre en marge de la société capitaliste et de laisser libre cours à ce qu'ils nomment leur « idiot intérieur ». Ils passent ainsi leurs journées à se comporter comme des malades mentaux dans leur jardin ou encore dans des lieux publics. Une femme qui vient de perdre son enfant rencontre ces idiots et décide peu à peu de partager leur quotidien. C'est par son regard que le spectateur peut réellement pénétrer dans l’univers du groupe.
Le comportement des idiots est complexe : critique acerbe du système capitaliste, tentative de rompre les codes sur lesquels est bâti le corps social, volonté d'inventer un bien-être propre à chaque individu. Plusieurs questions affleurent, posées par la nouvelle venue. Peut-on imiter les malades mentaux ? Comment coexister dans cette communauté au développement et au comportement anarchique ?
Les Idiots montre la difficulté de rompre avec les codes sociaux. Dans ce film, aucun coup de gueule, aucun scandale, mais la rupture est d’une violence terrible puisque l'individu, en tentant de devenir un autre, c’est-à-dire ce qu’il est profondément, perd une partie de lui-même, celle qui fut éduquée par la famille et la société. L'aliénation n'est plus le symptôme de la société, mais la marque d'une résistance à celle-ci.

Pierre Silvestri
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2008年07月16日

ROSETTA (film belge de Luc et Jean-Pierre Dardenne - 90 minutes - 1999)

Dans La Promesse (1996), les frères Dardenne dénonçaient déjà le dérèglement d'une société rongée par le chômage, où la débrouillardise la plus odieuse finissait par tenir lieu de travail. Avec Rosetta, ils continuent de sonder le même marécage. Mais, comme dans leur film précédent, les deux cinéastes dépassent le pamphlet social pour tracer un destin hors du commun. Après la « psychanalyse» sauvage du jeune Igor de La Promesse, contraint de « tuer » son ordure de père pour devenir un homme bien, Rosetta est une nouvelle plongée dans l'inconscient meurtri d'une enfant trop vite devenue femme. A la clé des deux oeuvres, un même schéma familial détruit : pas de mère et un père désastreux pour le héros de La Promesse ; pas de père et une mère défaillante pour Rosetta. Forcément, ce cafouillage originel engendre une grave inversion des rôles. Les adultes se comportent en gamins irréfléchis et les enfants « surmatures » guident leurs parents dans l’existence.

Rosetta galère. A peine sortie de l’adolescence, elle squatte dans une caravane ouverte à tous les vents, dans un camping en bordure d’autoroute. Sa mère alcoolique pour seule compagne, elle se lève chaque matin pour livrer un combat titanesque contre le monde ordinaire. Il faut manger, se laver, trouver du travail. Chaque acte devient compliqué, tout est violence. Rosetta est forte d’une énergie désespérée, celle du noyé qui continue de lutter quand tout espoir semble perdu.
Dans une Belgique apocalyptique, gigantesque friche pouilleuse et humide, Rosetta s’accroche à ce qu’elle peut : un boulot à l’usine, un petit commerce à partir de vieux vêtements, un œuf à la coque. Dans un monde qui ne veut pas d’elle, ses efforts deviennent pathétiques, les frères Dardenne l’ont voulu ainsi : « On a pensé au personnage de K, dans Le Château (1926) de Kafka, qui ne peut pas accéder au château, qui est toujours refusé dans le village, qui se demande si lui existe vraiment. Cela nous a mis sur l'idée d'une fille qui est mise dehors, qui veut obtenir quelque chose qui lui permettrait de rentrer dans la société, et qui est tout le temps remise dehors ».
Comme dans les vies les plus tristes, le film ne repose pas vraiment sur un scénario, mais plutôt sur l’enchaînement de situations où domine la volonté de survivre en environnement hostile. La répétitivité des gestes témoigne de la pesanteur des démarches imposées à l’héroïne. Les frères Dardenne la filme à plusieurs reprises lorsqu’elle retire ses chaussures et met ses bottes pour rejoindre sa caravane. Quand les pensées sont entièrement construites autour de ces actions dérisoires, comment se projeter, au sens littéral, dans l’avenir ? Il n’y a qu’un présent glauque, toujours recommencé, une sorte d’agitation inutile et cyclique au pays de la misère.

Les frères Dardenne ont décroché la Palme d’Or à Cannes avec Rosetta. Caméra à l’épaule, les réalisateurs ont suivi au plus près Emilie Dequenne dans son combat de tous les jours pour exister pleinement. Elle a obtenu pour ce rôle le prix d’interprétation féminine.

Pierre Silvestri
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2008年06月25日

LES FRISSONS DE L’ANGOISSE (film italien de Dario Argento - 105 minutes - 1975)

Italien, fils d'un producteur et d'une photographe, d'abord critique de cinéma, il coécrit le scénario de Il était une fois dans l'Ouest (1969) au moment où les genres hollywoodiens moribonds viennent chercher en Italie un second souffle.
Depuis son premier film en 1970, L'Oiseau au plumage de cristal, il a principalement oeuvré à l'intérieur d'un genre, le giallo, récit criminel où la violence se teinte de sadisme, et caractérisé par des codes immuables, connus du spectateur qui vient y chercher des sensations fortes et jouir pleinement de sa peur.
Mais loin de rester confinée à l'intérieur de ces frontières, l'oeuvre d'Argento, au confluent d'influences multiples, tant de la peinture maniériste, de l'art baroque que des nouvelles vagues européennes, constitue une synthèse entre la modernité et le cinéma de genre.
De la modernité, il a su tirer une audace formelle, le goût de l'expérimentation ; du cinéma de genre, il a conservé les personnages, criminels, victimes, enquêteurs, et les récits à base de complots occultes et de rituels sanglants.
Argento a le goût de la greffe et du métissage entre matières nobles et triviales. Chez lui, par exemple, l'opéra côtoie le roman-photo.
La beauté des films d'Argento ne tient qu'à un fil, à condition que le spectateur croit ce qu'il voit, qu'il accepte que ses sens prennent le pas sur la raison. Alors, un monde nouveau et enchanteur prend naissance, le réel révèle une part d'énigme, le spectateur plonge au coeur d'un cauchemar métaphysique.

Les Frissons de l’angoisse est très particulier dans la filmographie de Dario Argento. Il y a mis beaucoup de lui-même. Il a notamment attaché beaucoup d'importance à la relation entre les deux personnages Marc (David Hemmings) et Gianni (Daria Nicolodi, qui devient la compagne du metteur en scène à cette époque). Elle possède un côté un peu masculin et lui, un aspect plus féminin. Ils sont contradictoires.
D'un point de vue formel, il a tenté bien des choses, presque expérimentales. Les mouvements de caméra lui ont demandé un travail titanesque.
Il est parti de l'idée d'une femme, dotée d'une perception très développée, dans un théâtre devant un large public. Elle va sentir que parmi les gens qui l'écoutent, se trouve un individu fou, un meurtrier.
Plus qu’un giallo traditionnel, Les Frissons de l’angoisse est une construction mentale. Le scénario, ou plutôt la trame narrative, devient un prétexte, un support. D’ailleurs, le flash back interrompant le générique intervient juste après le carton mentionnant les deux scénaristes. A l’opposé, la musique s’arrêtant brutalement vient mettre en valeur le nom du réalisateur.
Si certains pouvaient en douter auparavant, désormais il sera impossible de confondre Argento avec un autre cinéaste, tant chaque plan porte la marque de son auteur. Travail sur les couleurs saturées, poésie morbide des meurtres, narration elliptique, Les Frissons de l’angoisse peut être considéré comme le mètre étalon de l’œuvre du réalisateur romain, celui, avec Suspiria (1977), auquel on comparera tous ses autres films.

Pierre Silvestri
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2008年01月23日

Les premiers pas du Rendez-Vous des Cinémas Européens

Le Rendez-Vous des Cinémas Européens va voir le jour cette année, probablement en avril.
Ce ciné-club fait partie de l’Association Europe-Kyoto-Nara. Il se tiendra dans une salle de cinéma privée s’appelant Walhalla et se situant près de la gare JR de Nara.
Lors de cet événement mensuel, je ferai découvrir la diversité et la vitalité des cinémas européens des années soixante à nos jours.


Je tiens maintenant à vous informer du premier événement cinématographique organisé dans le cadre de l’Association Europe-Kyoto-Nara.

J’ai réalisé trois films en vidéo numérique.
1) “Sexy poison” (2007) est un vidéoclip de 4 minutes qui met en images la chanson “Sexy poison” composée par Junkies Sex Dreams (c’est un groupe de rock underground français qui vient de Rouen).
2) “Shinjitsu to kibou no shouzouga” (2007) est un court-métrage atteignant les 10 minutes.
3) “Under my thumb” (2008) est un moyen-métrage qui dure plus de 40 minutes.

Je vous invite à venir les voir.
Je présenterai les films avant de les montrer.
La projection d’une durée d’environ 1 heure aura lieu le mardi 19 février 2008 à partir de 19 heures au Walhalla (cinéma privé avec une capacité d’environ 50 places assises) près de la gare JR de Nara.
Vous pourrez ensuite poser des questions ou faire part de vos impressions.

Voici deux liens internet qui indiquent où se situe le lieu où se déroulera l’événement :
- http://www.sunhotelnara.jp/
- http://www.matsuyafoods.co.jp/index.pl5


Pierre Silvestri
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