2008年12月11日

L’HOMME SANS PASSE (film finlandais de Aki Kaurismäki - 95 minutes - 2002)

L’univers de Kaurismäki est l’un des plus caractéristiques du cinéma contemporain ; sa spécificité est de nous montrer la Finlande, pays situé aux confins de l’Europe dont les habitants sont présentés en situation d’exode ininterrompu qui les mène de la campagne à la ville, ceci débouchant sur la peinture d’une sorte de no man’s land de l’Europe où se donne le spectacle grotesque de la bureaucratie moderne. Il nous donne aussi à voir comment des territoires réels en voie de paupérisation ont pu prendre racine au sein d’un état prospère, en mettant en scène la réalité telle qu’elle est, sans concessions, et par conséquent pas celle présentée par les médias.
« Un homme sans nom arrive en ville et se fait tabasser à mort à la première occasion. C’est le début de ce grand drame épique : film ou devrais-je dire rêve, où des coeurs solitaires aux poches vides errent sous la voûte céleste de notre Seigneur…ou devrais-je dire, la voûte céleste des oiseaux. » : telles sont les premières phrases rédigées par Kaurismäki dans la note d’intention de L’Homme sans passé.
Cette œuvre est limpide, à priori, et pourtant il révèle, lorsqu’on l’analyse, des enjeux proprement métaphysiques : Kaurismäki a beau parler de voûte céleste, il n’est pas question pour lui de faire un film religieux ou mystique. A priori toujours, L’Homme sans passé raconte l’histoire d’un amnésique : pourtant lorsque le héros se fait frapper violemment, ce n’est pas une figure de style : il meurt réellement et le médecin prononce l’acte de décès. Dans la scène suivante, aucune indication ne nous est fournie sur son réveil brutal : résurrection ou réincarnation ? Il nous faudra nous contenter de sous-entendus, de pistes aussitôt démenties. Kaurismäki est un mystique d’un genre très particulier, un mystique athée en quelque sorte : non seulement il tord le cou à l’avance à tout discours religieux mais en plus il ancre son « rêve » dans un contexte social très virulent, le monde des exclus, ceux qui sont réduits à vivre dans des containers.

La couleur tient un rôle capital dans L’Homme sans passé. Elle domine l’univers des exclus (baraques peintes, chemises de couleurs vives, juke-box flamboyant). Même dans un décor absolument gris, on trouve toujours un carré rouge au mur ; le rouge habituellement lié au danger ou à la mort est ici la couleur de la vie, de l’espoir. La photographie, minutieusement composée par le chef-opérateur Timo Salminen, privilégie les couleurs froides et réalistes dans une lumière si particulière aux pays nordiques, une lumière qui ne finit jamais. Le plus souvent, les intérieurs sont sombres et un peu glauques. Kaurismäki semble littéralement amoureux des couleurs qui rappellent les films hollywoodiens des années 50. Chez lui, les couleurs n’ont aucun caractère réaliste.
Le héros du cinéma contemporain est désormais malade de sa mémoire. Il erre dans le récit, repasse toujours par les mêmes boucles : le réel lui apparaît toujours vierge même si parfois d’encombrants souvenirs remontent à la surface et le perturbent. Dans L’Homme sans passé, suite à un mauvais coup sur la tête, le héros se retrouve sans passé. Il intègre une petite communauté de démunis et y rencontre l’amour. Lorsque la police le retrouve et le remet sur le chemin de sa vie, il ne reconnaît pas son ex-épouse, ne souhaite pas réintégrer son milieu social et s’étonne du portrait qu’on lui dresse de son ancienne personnalité. Il est devenu un autre et son passé l’encombre. L’amnésie est ici une puissance de propulsion et de conquête, la possibilité offerte de se réinventer. L’avenir appartient à cet homme sans passé.
Pratiquement tous les films de Kaurismäki narrent l’existence de personnages économiquement modestes et brisés par le destin mais toujours forts d’une dignité et d’une honnêteté exemplaires. Au-delà de la douleur et des contraintes, ces personnages parviennent toujours à garder l’esprit des valeurs fondamentales comme la solidarité, la compassion et la simplicité. Le comique de L’Homme sans passé relève de cette opposition entre la relative banalité des épreuves que doit surmonter M et tous les stratagèmes qu’il doit entreprendre pour y parvenir. Kaurismäki sait transformer le moindre détail incongru en point de départ d’une mini-fiction burlesque (exemple : l’ouverture d’un compte en banque suivie d’un hold-up hilarant).

Pierre Silvestri
posted by Pierre at 00:08| 奈良 | Comment(1) | Cinéma européen | このブログの読者になる | 更新情報をチェックする
この記事へのコメント
この映画と監督について、
ピエールは12月27日(土)の18時から
JR奈良駅近くのスタジオ≪ワルハラ≫で解説してくれます。
もちろん通訳(万友美さん)がつきます。
ヨーロッパ映画に関心がある人はぜひ!
会費は資料代300円です。
Posted by idea at 2008年12月11日 08:18
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