Paroxysme du genre lynchien par excellence, le thriller fantastico-schizophrénique, en incessante quête d'une vérité multiple, d'une recherche de compréhension sous forme de tempête cataclysmique sous un crâne malade, Lost Highway a été l’objet de nombreuses interprétations à sa sortie. Comment essayer de discerner les lois du genre lorsque ce genre n'existe justement pas ? Trip sous acide, collage délirant entre l'organique et le minéral, multiplicité labyrinthique, Lost Highway a réinventé à sa façon le cinéma, atomisant toute logique. Le film repose sur le principe d'une temporalité déphasée où la capture de certains événements est donnée à voir avant même qu'ils se soient produits.
Tissant une toile où le spectateur est forcément mis dans une situation de voyeur dérouté devant un engrenage fondé sur l'isolation sensorielle, inexprimable et touchant presque à l'ésotérisme, ainsi que sur l'intrigue voilée et conspiratrice d’un cauchemar grandeur nature. Lost Highway est une œuvre qui garde toujours son mystère même après plusieurs visionnages. En effet, notre réceptivité nous permet de capter chaque fois de nouveaux éléments tout en restant dans le flou. Les scènes mentales jalonnant le film amplifient le côté ultra-expérimental voulu par David Lynch dont la puissance d’imagination jamais rassasiée est vecteur de sensations impressionnantes.
Construisant sa narration comme un morceau musical enclin à tout larsen, cherchant l'atmosphère et la tonalité perturbantes, Lynch se pose en gourou sensoriel concoctant ses lois de l'esthétique aux combinaisons infinies et instinctives. Bric-à-brac underground d'une violence destructrice, la bande originale du film joue sur les ruptures et les variations. Gigantesque mix entre le dub, le jazz, l'easy listening, le rock et le trip hop, ce voyage sonore nous entraîne d’abord dans un univers angoissant par le biais d’un David Bowie dérangé, brutalement radicalisé par Ramstein avant de nous plonger dans une certaine décadence orchestrée par Kraftwerk. Jouant des dédales de la mythologie hollywoodienne, le coït interrompu entre fond et forme célèbre le triomphe de l'émotion plastique des obsessions d'un cinéma métamorphosé, désagrégeant temps et espace.
Pierre Silvestri