Travis nous apparaît comme surgi de nulle part, se dirigeant vers nulle part. Il finira par s'enfoncer dans la nuit, vers une destination inconnue. Il semble impossible de ne pas songer aux héros de western. C'est par l'espace que le film prend forme. La référence au western est donc naturelle et incontournable comme il était logique et évident que la fascination de Wenders pour le cinéma américain le mène à se replacer de la sorte dans les conditions de surgissement du mythe cinématographique.
Mais l'entreprise de Wim Wenders ne saurait être ce seul retour à l'état primitif du cinéma. Le titre même du film renvoie métaphoriquement au rapport entre l’Europe et les Etats-Unis. Sa justification anecdotique renvoie au père de Travis dont la femme était originaire de Paris-Texas). A la fascination des européens pour le Nouveau Monde répond celle des Américains pour le Vieux Continent enraciné dans le passé. Par là se rencontrent les deux axes du film : l'espace et la filiation (Travis a acheté un terrain à Paris-Texas, là où il fut conçu, d'après ce que lui a raconté son père). Le trajet de Travis répond à l'évolution du cinéma américain (du muet à la parole), c’est-à-dire à celle d'un espace ouvert et illimité à un espace fermé et délimité par des vitres, des cloisons, des portes. La narration commence sur fond d'aventure avant de virer à l'introspection du désert aux cabines de peep-show.
Ce que Paris, Texas nous fait découvrir, c'est le rôle même du cinéma, cette possibilité de percevoir la réalité brute, hors de toute catégorie, de tout système qui en effacerait l'altérité absolue. Travis, comme tous les héros de Wenders, n’appréhende pas le monde comme un système cohérent dans lequel il est impliqué, mais comme une succession de moments, d'images, de spectacles dont il devient le spectateur privilégié et qu'il se met alors à découvrir en dehors de sa présence. D'où l'opacité des êtres wendersiens, irréductiblement extérieurs les uns aux autres et qui ne peuvent se connaître que par la médiation : jeux d'imitation, utilisation du talkie-walkie puis du magnétophone (tout cela concerne la relation entre Travis et son fils). On pourrait aussi citer tout un arsenal d’exemples pour ce qui est de la relation entre Travis et la mère de son fils, Jane.
Pierre Silvestri