Deux longues conversations entre Louise et son copain Octave et entre Louise et son ami Rémi détaillent le point de départ du récit et semblent déjà en dessiner toutes les conséquences possibles. Le pour et le contre sont pesés, les risques identifiés. De l'instabilité de Louise naît l'intrigue et ce sont ses trajets incessants entre ses deux maisons qui vont rythmer le film. Le générique de début est porté par un panoramique allant de la rue à l'immeuble de banlieue de l'héroïne et logiquement, quand arrivera celui de la fin, la caméra bougera dans le sens inverse.
Ces mouvements qui parsèment Les Nuits de la pleine lune ne se limitent pas à accompagner les déplacements des personnages mais font entrer en jeu une problématique sociale en abordant la question des « villes nouvelles » naissant aux abords des grandes agglomérations et provoquant des mutations importantes dans les modes de vie (avec cette attention à l'environnement, nous avons là l'une des composantes du cinéma de Rohmer qui fait que celui-ci peut être qualifié à la fois d'intemporel et de précisément daté).
Les Nuits de la pleine lune font penser à un chant polyphonique pour deux voix, enchanteresses. La première est celle d'une jeune femme pour qui l'ascension des années 80 est une perspective grisante. Hélas disparue juste après la sortie du film, Pascale Ogier tranche avec les héroïnes habituelles d'Eric Rohmer, romantiques et désuètes. Ici, elle devance son époque, fabrique des lampes futuristes, trimballe son fourbi dans un cabas en plastique et marche avec des chaussons d'extraterrestre. Farouchement indépendante, elle a pour mission de délivrer les hommes, en se sauvant elle-même. Ses paroles sont pleines de mots doux, de mots féroces, de mots de secours.
A sa voix diaphane se mêle celle de Fabrice Luchini, à peine sorti de la chrysalide. L'acteur joue un dandy brimé, pauvre confident dont la gent féminine n'attend rien d'autre qu'une amitié respectueuse. Fonctionnelle jusqu'au paroxysme, superbement filmée, la ville sert de caisse de résonance à leurs refrains, qui finissent par s'unir. Ce film continue d'émerveiller par sa justesse prémonitoire et sa beauté fragile.
Pierre Silvestri